Je suis comme vous, mais différent

Cet article va retracer pas loin des 25 dernières années de ma vie, il s'agit d'un article difficile à écrire, à ordonner et à finaliser. Autant entrer dans le vif du sujet, je suis atteint de troubles du spectre de l'autisme. Pour simplifier, je suis une personne autiste. Je suis donc comme vous mais différent.

⚠ Attention ⚠

Petites informations importantes


Avant de continuer mon récit, je me dois de vous prévenir que mon histoire n'est pas un guide pour "sortir" de l'autisme ou "guérir" de l'autisme. L'autisme ne se guérit pas, on apprend à vivre avec et je ne peux que conseiller de consulter les spécialistes si vous ou l'un de vos proches êtes concernés par ce trouble.

Egalement, si vous avez envie de vous "auto-diagnostiquer" autiste, car ça fait "cool" sur votre biographie en ligne, libre à vous de le faire. De mon côté, je trouve ça stupide. Une psychanalyste m'a déjà sorti que "l'autisme est un choix", je peux vous assurer que ce n'est pas le cas et que c'est loin d'être "cool" de s'auto-diagnostiquer. De mon côté je suis diagnostiqué et suivi par des professionnels.

Petit message également à ma famille, je ne peux vous tenir responsable des choix qui ont été faits, de ceux qui ont été écartés. Donc ne voyez pas de blâmes. Vous avez fait ce que vous pouviez avec les informations que vous aviez et il m'aurait été difficile de faire mieux si j'avais été à votre place.

Enfin, je n'écris pas ceci pour qu'on change le regard sur moi, je ne cherche pas à apporter de la pitié, mais à informer sur un sujet qui est très peu connu, notamment en France. Pour vous dire, j'apprends certains de mes symptômes encore aujourd'hui.

L'autisme

Pour ce qui est de l'autisme, beaucoup d'entre vous, notamment ceux qui me connaissent peuvent être surpris. Pour d'autres je comprendrais votre doute et votre scepticisme.

Comme vous, j'avais l'image de Kim Peek (Rain Man) en tête quand on me parlait d'autisme. Mais en réalité, l'autisme ne se limite pas à cela. L'autisme est un spectre, assez mal connu et comporte une multitude de facettes.

Je ne peux pas vous dire qu'être autiste c'est tel ou tel comportement, tel ou tel façon de voir les choses, de bouger ou de parler. Oui, certains sont enfermés dans leur monde et il est difficile de les atteindre, d'autres sont enfermés dans leur monde et sont incapables de l'expliquer.

Les troubles du spectre autistique touchent de manière très variée les individus qui en sont atteint. C'est majoritairement un dysfonctionnement d'ordre social.

Le commencement

Quand j'étais enfant, je faisais des crises. Mes parents appelaient ça des "cacas nerveux". J'ai mis longtemps avant de comprendre l'image derrière cette expression, car pendant ces crises, je ne faisais pas caca. En réalité, je ne sais pas ce que je faisais durant ces crises, car au regard des autres je me griffais, je me mordais, je me frappais, pour moi c'était le trou noir.

Je me souviens particulièrement d'une crise. Je ne me souviens pas de son contenu, mais qu'elle a eu lieu quand j'avais sept ou huit ans. C'est cette crise, qui, pour une raison que j'ignore, m'a fait prendre conscience qu'il fallait que ça change.

A l'époque, nous n'avions aucune suspicion sur l'autisme. De plus, peu de médecins connaissaient ce trouble. Je n'ai donc pas cherché à corriger mon autisme, mais mes crises. Mon objectif étant de ne plus en faire.

Le diagnostic

Aux alentours de mes quatorze ans, je continuais toujours de combattre mes crises. J'étais capable de les détecter j'étais capable d'en éviter certaines. Mais les différents examens médicaux ne concluaient rien.

Dédoublement de personnalité, schizophrénie, épilepsie, rien ne collait. C'est alors que notre médecin de famille, père d'un fils atteint du syndrome d'Asperger, a soumis l'hypothèse à mon sujet. Suite à cette hypothèse, mes parents ont eu comme conseil de me donner la vie la plus "normale" (je déteste ce mot) possible.

Puisque nous n'avions pas de diagnostique officiel et que le terme "peut-être" avait été utilisé, je ne voulais pas y croire. Acter que c'était de l'autisme renversait mes croyances, que ce soit sur la vision de l'autisme que j'avais (celle de Rain Man) mais aussi sur les crises que je vivais et combattais. Pour moi, les crises me rendaient différent, ce n'était pas cette différence qui causait mes crises.

Avec le temps, j'ai eu plusieurs expériences qui m'ont rappelées à cette hypothèse et même si tous les morceaux collait, je refusais de l'accepter pleinement.

L'accepter revenait à perdre l'espoir de guérir mes crises, mais avec le temps, je me suis fait à l'idée. Cependant, je continuais d'en parler de manière hypothétique pour les quelques personnes capables de déceler les signes. Ce n'est que très récemment que j'ai décidé d'entrer en contact avec des professionnels et de me faire reconnaître officiellement. J'attendais que tout soit officiel pour en parler.

Ma différence

Aujourd'hui j'ai conscience qu'un "neurotypique" (je déteste également ce mot) qui n'est pas familier avec les troubles du spectre autistique peut avoir du mal à le remarquer. Je fais l'effort de regarder mes interlocuteurs, je module mon rythme et ma diction pour éviter de trop parler. Je limite le train des pensées afin d'éviter de perdre mes interlocuteurs. La liste est longue et même si aujourd'hui cela est devenu un réflexe, cela reste un travail complexe et fatiguant.

En réalité, il m'a fallu un certain temps pour détecter qu'il me manquait des outils sociaux. Comme je me suis majoritairement concentré sur mes crises, ce n'est que vers le début de mes études supérieures que j'ai commencé à me sentir détaché des autres. Avec le recul, je sais que j'étais déjà très solitaire, mais c'est vraiment à ce moment que j'ai ressenti un gouffre.

Je contrôlais assez bien mes crises à l'époque. Même sans accepter l'autisme, je prenais conscience qu'elles n'étaient pas la cause de ma différence, mais l'inverse. C'est durant période que j'ai ressenti une sorte de vide, un détachement en face de mes interlocuteurs. Il m'arrivait régulièrement de me prendre des remarques comme quoi je n'écoutais pas (manque de contact visuel). J'ai également remarqué qu'il m'arrivait souvent de ne pas comprendre certaines situations ou moqueries.

Comprendre qu'il y a un problème c'est une chose, trouver comment le régler s'est avéré difficile. J'ai dans un premier temps hésité à laisser tomber, car je ne suis pas naturellement attiré par les relations sociales. Je me suis cependant dit que si mes crises étaient liées à ma différence, corriger ma différence aiderait à supprimer mes crises.

Par conséquent, j'ai longuement travaillé pour chercher à comprendre ce qu'il manquait, ce que je faisais mal... Je vous avouerais avoir hésité à nommer cet article "le perroquet caméléon" car c'est un peu ce que j'ai fait : imiter et se cacher.

Le système était bancal, pas spécialement parfait, mais me donnait l'impression de progresser. Je mémorisais ce que je faisais mal, ce que je faisais bien et au fur et à mesure, encore aujourd'hui, j'ai découvert un tas de situations sur lesquelles me calquer.

Livres, films, bande dessinées et camarades étaient mes inspirations et je ne me suis jamais senti aussi imposteur qu'à cette époque. J'avais l'impression de mentir en permanence. Je bouchais les trous, mais je ne comprenais pas complètement le fond. Aujourd'hui j'ai conscience que tout ce travail, en plus d'améliorer mes compétences de communication, m'a permis d'avoir ma propre personnalité.

Pour la majorité d'entre vous, lorsque quelqu'un vous parle, vous comprenez instinctivement quelle émotion est associée à la phrase qui est prononcée. Un tas de marqueur inconscient vous aident à déterminer la situation. De mon côté, si l'émotion ou le ton n'était pas assez marqué, c'était beaucoup plus difficile. Aujourd'hui j'ai acquis ces réflexes, mais cela reste un travail. Il reste cependant très difficile pour moi de dessiner les émotions d'un personnage.

Les crises

Je n'entre pas trop dans le sujet de mes crises, car aujourd'hui je doute qu'elles reviennent. J'avais appris à les bloquer, mais elles restaient présentes et avaient un impact sur ma santé. Il m'a fallu une vingtaine d'années pour comprendre la majeure partie du mécanisme qui les entouraient, notamment sur la perte de mémoire. Je ne pourrais pas dire qu'avoir compris leur fonctionnement a guéri mes crises, mais plutôt qu'elles se manifestent d'une autre manière, bien moins violentes, mais très invalidantes.

Ces crises font partie du passé, mais elles ont existé et ont, elles aussi, évolué avec le temps. Je les ai longtemps détestées et pourtant, malgré cela, ce sont elles qui m'ont guidé. Pendant une dizaine d'années je ne cherchais pas à guérir l'autisme, je cherchais à supprimer mes crises. Elles ont été le moteur de ma motivation à vouloir progresser. Même quand j'ai plus ou moins accepté ma condition, je restais à l'affut de ces dernières et j'agissais pour éviter qu'elles se manifestent publiquement.

Aujourd'hui et demain

Aujourd'hui, si l'on me croise dans la rue ou que l'on vient à ma rencontre, peu de personnes seraient capables de voir ma différence. Il est souvent dit qu'une personne atteinte de TSA porte un masque. Je ne suis pas entièrement d'accord avec cette définition. Bien que mes réactions ne soient pas innées, elles restent acquises. Je n'ai pas à simuler comme lors de mes études. Malgré tout, cela reste fatiguant, car c'est un travail inconscient.

Cependant, il m'arrive de ne pas comprendre certaines situations, soit parce que le sens des mots a un sens caché que je ne remarque pas tout de suite, ou alors je n'ai pas capté l'émotion associée à une phrase, mais dans l'ensemble ces situations sont maintenant rares et j'arrive à m'en sortir malgré tout.

Vous pourriez alors vous dire qu'après vingt-cinq ans de prise de conscience et de travail, je suis guéri, happy-end et tout le tralala. Je suis désolé de vous dire que ce n'est malheureusement pas le cas. La situation sanitaire mondiale me montre qu'il est facile de redescendre rapidement cette pente que j'ai escaladé des années durant. En gardant cette métaphore, je peux vous dire aussi qu'avec l'âge il ne sera pas simple de continuer de monter, la fatigue se faisant sentir et la motivation disparaître.

Je ne sais pas de quoi l'avenir sera fait, mais il est possible qu'un jour cette motivation qui m'anime s'estompe et que je ne souhaite plus avancer. On ne guérit pas l'autisme, car l'autisme n'est pas une maladie, ce n'est pas non plus un choix, c'est un mode de fonctionnement. Et malheureusement, dans cette société nous devons fonctionner d'une certaine manière pour pouvoir avancer, nous devons donc nous adapter.

Conclusion

En conclusion, certains pourraient me dire chanceux, car aujourd'hui je passe inaperçu, j'ai un bon travail, bref que tout roule. Je peux vous dire que tout cela n'est pas entièrement dû à la chance, mais grâce à un travail de longue haleine. En un sens, je pourrais même dire que cela n'aide pas les personnes atteintes des mêmes troubles que moi puisque je suis capable de me fondre dans le décor.

C'est pour cela que je n'avais pas spécialement envie de vous déballer ma vie, mais que j'en avais besoin. Je suis capable de vous partager mon expérience avec vous, de vous raconter mon histoire et tous n'ont pas cette capacité. Cette différence, pour moi, a été un poids qu'il m'a fallu porter. Aujourd'hui, elle est moins gênante,  mais elle me ralentit. Ce n'est pas simple d'être différent dans une société qui la rejette la différence. Alors j'espère qu'en parler permettra de mieux comprendre et accepter les troubles du spectre autistique.

Contrairement à l'expression, être autiste ce n'est pas être stupide. Même si j'ai un niveau de connerie mesurable, j'espère montrer que cette expression est fausse. Une personne autiste est dans son monde, c'est à elle de choisir si elle souhaite le partager ou non et c'est à vous de choisir si vous souhaitez l'accueillir dans le vôtre ou non.